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Vendredi Saint : vivre au centre de la Croix...

Vendredi Saint aujourd'hui... et toujours l'envie d'offrir ce qui vit en moi, cette fois au sujet de la Crucifixion.


En voilà un vaste sujet !


Non Jésus ne s'est pas offert en sacrifice pour racheter nos péchés. D'abord ce serait nous considérer comme des incomplets, des incapables, des moins que lui. Or il n'en est rien. N'a-t-il pas dit que ce qu'il avait fait, nous le ferions un jour, et même "de plus grandes choses encore" ?


Je crois plutôt qu'il est venu au plus près de nous pour nous montrer un chemin, nous proposer un réveil là où nous nous sommes endormis. Un chemin que nous pouvons fouler aujourd'hui, avec humilité, mais sans fausse modestie non plus : il est plus que temps d'assumer notre royauté ! Un chemin sur lequel nous devons certes d'abord mettre genou à terre puis courber la tête pour nous désidentifier de tout ce qui n'est pas vraiment aligné avec la réalité que nous pressentons de notre être, mais un chemin où nous attend notre couronne ! En partant de là où nous sommes, en se débattant avec les mêmes diables que nous, dans les mêmes déserts que nous, il nous a montré jusqu'où nous pouvons aller avec les croix que nous portons tous. N'est-ce pas merveilleux ? Sa paix est nôtre, tendresse du berger avec ses brebis autant que rigueur de l'épée qui tranche net dans le tissu de nos mensonges...


Et puis de quoi serions-nous coupables ou fautifs ? Comme dans tout apprentis-sage nous faisons d'indispensables erreurs, elles ont pour rôle de nous faire évoluer, éprouver des choses nouvelles, et désemparés par ce que nous ressentons d'abord comme une limite douloureuse, nous nous mettons alors en chemin pour découvrir nos ressources et faire l'expérience d'un pouvoir intérieur qui attend d'être apprivoisé et mis en mouvement. Et la limite s'efface alors pour devenir tremplin... Nous avons simplement besoin de nos erreurs pour grandir en conscience, étape après étape, sans fin, besoin de sortir de nos prisons individuelles et collectives, besoin de ne plus restés enfermés dans nos projections et créations mentales. Nous ne sommes coupables de rien donc, surtout pas de nos imperfections. Mais à partir du moment où nous devenons conscients et les acceptons véritablement, nous devenons totalement responsables de nos choix, de nos pensées, de nos paroles, de nos actions et de ce que nous faisons de nos émotions, le combustible indispensable à toute alchimie. Là réside notre pouvoir. La perfection ne nous est pas demandée, simplement la bonne volonté, la transparence, la vérité, la présence à soi et aux autres, et le courage d'agir toujours plus en cohérence avec ce que nous sentons juste et qui évolue avec nous.


Je voudrais aussi éclairer le mot sacrifice, souvent associé à la crucifixion : littéralement "sacrifice" signifie "faire sacré", rendre sacré. Qu'a-t-il rendu sacré, Jésus ? Rien de moins que l'entièreté de notre vie humaine d'esprit incarné (embourbé parfois !) dans la matière. Oui l'entièreté, sans rien exclure ni refouler, incluant toutes nos misères, maladies et infirmités. C'est en acceptant pleinement nos ombres que la lumière et la beauté cachée qu'elles contiennent se révèlent immanquablement...


Ayant accompli des miracles en tout genre pendant son existence, Jésus aurait pu appeler sur lui-même ou sur ses persécuteurs le surnaturel de Dieu pour échapper à la souffrance du chemin de croix et de la crucifixion qui a suivi. Il ne l'a pas fait. Il est tombé à plusieurs reprises sur ce chemin qu'il a foulé courageusement, en homme conscient vivant l'expérience simultanée de sa vulnérabilité extrême et de sa réalité flamboyante d'être spirituel. Il a eu peur, il a douté, il a eu mal, ses forces l'ont quitté, il a sans doute pensé abandonner, la colère l'a sûrement traversé. Il s'est montré dans la plus grande fragilité de l'être humain, mais l'a embrassée avec bonté et s'en est servie comme d'un marchepied pour gravir les échelons de cette Royauté promise à tous. Ne rien fuir, tout regarder, tout ressentir, tout traverser, tout éclairer au feu de l'Amour inconditionnel. Ne pas maudire mais offrir son plein consentement, bénir, bénir sans cesse, jusqu'à ses ennemis, jusqu'aux vents contraires, confiant que dans cette cuisson alchimique quelque chose de plus grand est à l'œuvre.


Mère, la compagne spirituelle de Sri Aurobindo, disait qu'il faut une volonté extraordinaire pour pouvoir incarner l'abandon total à ce qui est plus grand que nous. "Père, que ta volonté soit faite, et non la mienne" n'est pas une capitulation mais au contraire la plus puissante des offrandes, l'acte le plus dynamique et créateur qui soit, car il suppose que nous faisions d'abord pleinement face à ce qui est, dans la dimension humaine horizontale, aussi inconfortable et douloureux que cela soit : cela demande un grand effort de conscience de ne pas se dérober, de ne pas fuir, de ne pas obéir à la peur. Et puis seulement ensuite tout lâcher, s'ouvrir à la dimension verticale de l'être humain. Seulement là, au centre de cette croix, quelque chose de profond et de transcendant s'accomplit, et après les épines s'exhale le doux parfum de la rose... Un lien se fait entre l'ombre et la lumière et la conscience, peu à peu, s'élargit et peut faire de plus en plus l'expérience de la liberté. C'est par notre faculté à ressentir et regarder sans fuir que le lien se fait et que ce qui était séparé redevient entier, que ce qui était deux redevient Un. Se nourrir directement de l'Esprit que nous sommes n'est pas quelque chose de mental, c'est très physique et la paix ainsi vécue est cellulaire, elle transforme le corps. Oui notre espèce est en train de muter ! Je suis sûre que dans les décennies qui viennent la médecine le constatera. Les crises sanitaire, économique, écologique, sociale, politique, sont le reflet de la révolution spirituelle qui est à l'œuvre en chacun de nous et nous appelle à mourir pour renaître à une réalité plus haute de nous-même. Dans notre chair est le lien, dans notre chair -ce petit morceau de terre que nous avons endossé pour l'aimer, le comprendre, guérir son histoire, en révéler la beauté subtile en nous rappelant qui nous sommes- dans notre chair est le lieu des Noces.


L'être humain, enfermé dans une blessure, peut oublier sa véritable nature et devenir dur et cruel, certes. Mais même les anges -qui ne peuvent qu'être en harmonie avec les lois de la Vie, c'est leur nature- s'inclinent devant nous lorsque nous nous souvenons de notre origine divine et choisissons de porter notre couronne. Peu importe le nombre de fois où l'on trébuche, l'important est d'ouvrir les yeux, de se relever et de continuer à marcher. Malgré les découragements et le désespoir inévitables lorsqu'on sort du connu... Jésus sur la croix a traversé la solitude insondable, la morsure implacable de la souffrance physique, le doute sur sa capacité à soutenir et à poursuivre cette expérience inouïe, le sentiment de coupure totale d'avec la Source qu'il ne sent plus et qui ne semble plus lui répondre : "Père, pourquoi m'as-tu abandonné ?"... Ces mots sont aussi le cri de la matière elle-même qui souffre de subir le joug millénaire d'un psychisme aveugle et automatique. Mais il ne capitule pas, de toutes ses forces il reste conscient et au-delà de l'inconnu traversé il contacte alors l'élan retrouvé au plus profond de lui en disant : "J'ai soif". Le lien avec la Source est ranimé... Ces mots sont aussi l'appel de la matière elle-même qui a soif d'être à nouveau le support de l'Esprit et de l'Amour véritable. Seulement là, dans ces profondeurs, "Tout est accompli", et le lien peut s'activer dans toute son irrésistible puissance avec cette dernière parole de Jésus : "Père, je remets mon esprit entre tes mains".


Jusqu'au bout l'héritage humain de Jésus aurait pu l'emporter, mais sa conscience aiguisée a triomphé de la peur et de l'oubli à chaque étape de sa vie, des tentations du désert à l'extrémité de la croix. C'est en cela que son histoire est si inspirante je crois, pour moi en tout cas. Il a rendu à notre vie humaine son caractère sacré, en éclairant pour nous l'opportunité de croissance qui réside en chaque circonstance vécue. Il a rendu possible la vie extraordinaire de notre esprit dans l'ordinaire de notre vie quotidienne. Il a éclairé notre libre-arbitre. En effet, où serait la valeur d'un acte d'amour si un choix contraire n'était pas proposé ?